Pérou: la crise continue – La Línea

20 octobre 2025

Le 10 octobre 2025, les élites politiques péruviennes ont décidé de retirer leur soutien à Dina Boluarte et de lancer ainsi la campagne électorale qui s’annonce sans le fardeau d’une présidente qui a battu le record mondial d’impopularité (0% selon Ipsos). Le même jour, à l’unanimité, le Congrès péruvien a remis l’écharpe présidentielle à José Jerí, une personne qui, comme Boluarte, n’a été élue par personne pour occuper ce poste. Un nouveau coup de couteau à la volonté populaire qui aggrave la crise.

Avec l’ascension de José Jerí, le Pérou ajoute un autre triste record : sur les huit présidents qui se sont succédé au palais de Pizarro en neuf ans, seuls deux ont été élus par le peuple. Le nouveau président a été élu député de Lima avec à peine 10 000 voix et fait l’objet de plaintes pour détournement de fonds et enrichissement illicite. Selon les déclarations de certains entrepreneurs lors du procès mené par le parquet, l’actuel président agissait au Congrès comme un lobbyiste bien rémunéré. Pour faire passer un projet de loi en commission, Jerí aurait demandé 100 000 dollars. Et s’il parvenait à faire adopter la loi en séance plénière, l’entrepreneur devait lui verser 200 000 dollars supplémentaires à titre de « prime de réussite ». Grâce à ce système, Jerí est passé de vivre chez ses parents au début de son mandat à posséder un appartement de luxe à Lima et deux maisons de plage quatre ans plus tard.

Comme si ces accusations ne suffisaient pas, l’une de ses collaboratrices a dénoncé le nouveau président pour viol. La jeune femme affirme que Jerí l’a droguée en mettant des substances dans sa boisson avant d’abuser d’elle. Quelques heures avant d’accéder à la plus haute fonction nationale, Jerí a eu la bonne idée de mettre à jour ses réseaux sociaux et de ne plus suivre près de 300 comptes pornographiques. Sur ces réseaux, il ne reste plus que de nombreuses publications et commentaires qui montrent aux citoyens à quel point il est un obsédé et maniaque sexuel. Après une présidente meurtrière, frivole et corrompue, un autre “joyau” accède à la présidence. Pedro Castillo, le dernier politicien péruvien digne et honnête qui a accédé à la présidence avec près de neuf millions de voix, a été envoyé en prison par ce système pourri.

Pour l’instant, José Jerí semble bénéficier d’un soutien clé qui lui assure le maintien de son poste. Au sein du Congrès, l’extrême droite libérale et coloniale (et son allié marxiste-léniniste de Peru Libre-sic) forme un bloc qui lui apporte de la stabilité et a déjà neutralisé une demande de destitution. En dehors du pouvoir législatif, Jeri bénéficie du soutien du monde des affaires, auquel il a accordé, lorsqu’il était secrétaire de la commission de l’économie puis président du Congrès, la tristement célèbre loi sur les zones économiques spéciales privées (ZEEP). Cette loi confie à la Société nationale de l’industrie et à la Confédération nationale des institutions privées la gestion de territoires où les entreprises ne paieront pas d’impôts et bénéficieront d’une réglementation du travail et de l’environnement à leur convenance. Une honte antipatriotique conçue dans la lignée des zones d’emploi et de développement économique du Honduras. De plus, José Jeri s’est assuré le soutien des grands médias et l’appui indéfectible des forces armées et policières.

Mais s’il y a bien une chose qui manque au nouveau dirigeant, c’est le soutien populaire. Dans sa grande majorité, la population rejette son manque de légitimité et d’aptitude à exercer ses fonctions. C’est pourquoi les rues du Pérou se sont à nouveau enflammées avec des mobilisations massives auxquelles la police a répondu par la brutalité. Le 15 octobre 2025, des syndicats d’étudiants, des organisations de chauffeurs de bus, des commerçants, des jeunes de la génération Z, des travailleurs et des citoyens en général ont envahi les rues pour exiger la démission de Jerí. La répression policière a de nouveau été abusive et meurtrière, faisant un nouveau mort et des dizaines de blessés et de détenus parmi les manifestants. Face à ces graves événements, le nouveau Premier ministre, l’ultraconservateur Ernesto Alvarez, a qualifié les participants de violents et a annoncé un nouvel état d’urgence dans la capitale.

En réalité, les citoyens péruviens n’ont cessé de manifester leur rejet catégorique de la classe politique incrustée au pouvoir. Depuis le soulèvement andin qui a suivi la destitution illégale de Pedro Castillo fin 2022 et début 2023, les mobilisations ont continué à rassembler de nouveaux secteurs, avec leurs propres lignes politiques, leurs propres stratégies et selon leurs propres interêts. Que ce soit pour les chauffeurs de bus accablés par l’extorsion et les assassinats, les travailleurs du secteur minier informel, les jeunes précaires opposés aux fonds de pensions, ils ont tous manifesté leur colère lors de marches massives auxquelles l’État a répondu par une violence croissante. Il s’agit de groupes très hétérogènes, motivés par des intérêts divergents, mais unis par le même mécontentement à l’égard du système actuel et la frustration d’être représentés par une classe politique corrompue.

À sept mois des élections générales d’avril 2026, aucune force politique ou leadership charismatique n’a été capable de rassembler sous une même bannière ces forces majoritaires mais complètement atomisées. Il n’existe pas non plus de projet programmatique national qui permette à tous de s’assoir autour d’une table et d’articuler une sortie commune de la crise. Les secteurs mobilisés manquent d’une stratégie définie et l’on perçoit une méfiance croissante à l’égard d’une issue électorale. Les partis politiques existants n’ont pas su tirer parti de la fureur qui règne dans les rues. Cette confusion favorise le pouvoir et lui assure pour l’instant une relative stabilité. Pour l’instant.

La Línea

Source: La Línea – Traduction: Romain Migus

Foto: Kevin Puelles