L’origine problématique de la Convention Constitutionnelle au Chili – Manuel CABIESES

17 décembre 2020

Le langage politique actuel est insaisissable et superficiel, ou plutôt hypocrite. Les intentions réelles passent sous le poncho. L’homme politique professionnel méprise le discours idéologique. Il utilise les techniques trompeuses du marketing et de la gestion. C’est ce qui est imposé par le système qui l’allaite et qui est la règle d’or de la politique à l’époque du néolibéralisme.

C’est pourquoi la genèse de la Convention constitutionnelle reste dans l’ombre. Les partis du système – et presque tous – ont tissé une épaisse toile de pièges, de règlements, de quorums et autres astuces qui subordonnent la souveraineté populaire à la volonté du néolibéralisme. Cela empêchera les mains propres du peuple de rédiger la nouvelle Constitution.

Les plans concoctés par la confrérie secrète des partis vont réduire les pouvoirs des partis conventionnels. Le pouvoir initial sera poignardé à mort par les partis politiques. La porte de fer pour contenir les changements sera le quorum des deux tiers. Une majorité de 66% pèsera moins qu’un ticket de métro si la réaction contrôle 34% des votes. Une proposition facile pour une droite qui a frôlé les 40 % des votes au cours des 30 dernières années.

Les partis du système ont imposé une discrimination sur les sièges des peuples autochtones. Ils ont également eu recours à diverses martingales pour entraver les candidatures indépendantes. Ils se sont efforcés de faire échouer les droits fondamentaux que les gens espéraient voir inscrits dans la Constitution. L’encadrement par les partis politiques préfabriquent une Constitution qui serait la version remaniée de celle imposée par la dictature en 1980.

La genèse dans cette manœuvre est la protection de l’économie de marché. Le néolibéralisme est le cœur du système et les partis politiques le défendront avec zèle et avec toutes les combines des fanatiques du poker politique.

Le néo-libéralisme n’est pas seulement une doctrine économique visant à rendre les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. C’est une méthode qui rend les fonctions de l’État cohérentes et impose un mode de pensée unique. C’est toute une « culture » de domination oligarchique qui ne sera balayée que par une révolution culturelle venant d’en bas.

Les 25 partis existants sont les bénéficiaires d’un système qui élève la majorité à leur image et à leur ressemblance. En échange de services loyaux, ils reçoivent des ressources, des privilèges et des honneurs qui permettent à la caste politique de survivre même au milieu du discrédit dans lequel ils se trouvent aujourd’hui. La symbiose économique et politique est désormais absolue. Couper leur cordon ombilical signifierait la mort des deux.

C’est cette genèse qui empêche la formation d’une liste unique de candidats pour la Convention. Les listes uniques par district, seul moyen d’aller au-delà des 2/3 et d’imposer la démocratie à la Convention, sont devenues impossibles. Les parties du système ont repris la Convention et la traiteront comme elles l’entendent pour défendre le système qu’elles ont promis de changer.

La liste unique – accompagnée d’une vibrante mobilisation pour la victoire du peuple – aurait permis de transformer la Convention castrée en une Assemblée constituante avec tous les pouvoirs dont elle dispose. Une telle aspiration se fonde sur l’histoire de certains partis qui, il n’y a pas si longtemps, ont critiqué le modèle néolibéral et soutenu l’Assemblée constituante. Mais ces partis – appelés « centre-gauche » ou « social-démocrate » – ont changé de ton à mesure qu’ils étaient assimilés par le système.

Cependant – admettons-le, même si cela fait mal – l’échec de la liste unique n’est pas seulement le résultat des astuces des partis du système. Il y a aussi une grave responsabilité de la part des partis et des organisations sociales qui se déclarent anti-néo-libéraux. Ces derniers ne se sont pas mobilisés pour imposer avec la pression des masses – qu’ils prétendent représenter – la seule stratégie unitaire et démocratique pour enterrer la Constitution de la dictature.

La dispersion politique des secteurs démocratiques -et l’absence d’une gauche capable de fixer le cours des luttes politiques et sociales-, se fait à nouveau sentir dans toute sa crudité.

A moins d’un mois de l’enregistrement des candidats à la Convention, le camp populaire est plongé dans le sommeil de Noël et du Nouvel An. Une période de vacances et un délire consumériste, ainsi que des limitations imposées par Covid-19 sur la liberté de mouvement et de réunion. Et de l’ivresse des consciences avec le sirop idéologique des journaux du matin et des perroquets de la politique. Ce qui se passera en avril -lorsque les conventions seront élues- est prévisible. L’abstention reviendra d’elle-même quand les gens réaliseront que les partis du système ont pris le contrôle de la Convention et que rien ne changera. Et à partir de là ? La Convention de San Quentin aura lieu parce que la patience d’un peuple si maltraité et si souvent trompé a une limite, comme l’avait prévenu la rébellion du 18 octobre. Seule la rébellion permettra d’apporter les changements sociaux et politiques auxquels le système et la caste politique refusent de renoncer.

 

Manuel CABIESES

Source: Punto Final – Traduction: Romain Migus