Les USA vont-ils attaquer le Venezuela ? – Bruno Sgarzini 

9 octobre 2025

Une agression militaire contre le Venezuela semble être l’objectif du déploiement militaire américain dans les Caraïbes. Les déclarations des porte-parole américains, tout comme les premières actions américaines sur le terrain, préparent, à première vue, un discours destiné à l’opinion publique américaine afin de légitimer une attaque contre le sol vénézuélien au nom de la lutte contre un « cartel de trafic de drogue », dirigé par le chavisme, qui inonde les rues américaines de drogue.

La grande inconnue du déploiement militaire américain est son efficacité et son ampleur, car jusqu’à présent, la seule chose que l’on a vue est l’utilisation de grands navires de guerre pour attaquer de petits bateaux rapides et arraisoner un navire de pêche vénézuélien. Une image qui ressemble davantage à une opération menée par Sancho Panza, le shérif de Zorro, qu’à une méga-opération militaire infaillible dirigée par de grands commandants militaires. Pour dissiper tous les doutes à ce sujet, Thomas Keith, de Sovereign Protocol, chercheur spécialisé dans les conflits et les guerres de l’information, décrit l’utilité du déploiement américain. Par exemple, s’il est possible de mener une campagne d’assassinats contre les dirigeants chavistes, comme le suggèrent certains médias, s’il est possible de lancer des attaques « chirurgicales » à l’intérieur du Venezuela, et quelles sont les chances de succès.

« Washington n’a pas de voie rapide et facile pour mener une campagne d’assassinats contre les dirigeants chavistes » Thomas Keith

Keith explore également un angle peu abordé par les analystes et les experts : la capacité du Venezuela à se défendre et à mettre en difficulté le déploiement américain dans les Caraïbes. Il est en effet assez complexe pour Washington d’escalader un conflit face à un pays doté de défenses aériennes et maritimes, d’essaims de drones, de millions de miliciens et de militaires mobilisés, et d’une diplomatie active pour dénoncer et démanteler les prétextes interventionnistes des États-Unis. Il y a également la possibilité que Caracas reproduise les mêmes tactiques et stratégies que les Houthis au Yémen, qui ont contraint la Maison Blanche à retirer une grande partie de ses porte-avions de la mer Rouge.

Le déploiement américain dans les Caraïbes est présenté comme capable de commettre un nombre incalculable d’agressions contre le pays. En termes militaires, à quoi peuvent servir tous les armements et les soldats déployés par Washington ?

Le réseau actuel des États-Unis dans les Caraïbes crée une bulle à grande vitesse autour du Venezuela avec des destroyers équipés du système Aegis (qui intègre des radars et des missiles) comme le Jason Dunham, un croiseur de classe Ticonderoga comme le Lake Erie avec de vastes arsenaux de missiles Standard (SM) et Tomahawk, un groupe amphibie prêt à l’emploi autour de l’Iwo Jima et des navires de transport amphibie (LPD) de classe San Antonio transportant une unité expéditionnaire de marines d’environ quatre mille hommes, ainsi qu’un sous-marin nucléaire d’attaque rapide. Avec des avions de patrouille P-8A Poseidon, des systèmes de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR) à haute altitude et des drones de classe MQ, Washington maintient un trafic côtier permanent, des sorties aériennes et des émissions (signaux radio, GPS, transmissions radio, capteurs) à proximité du pays. Dans la pratique, cette posture militaire est utilisée dans des opérations d’interdiction maritime (abordages et démonstrations de force « cinétiques » avec des embarcations de petite taille), dans la cartographie des temps de réaction et des activations radar, et dans des essais narratifs juridiques où les actions sont qualifiées d’opérations « antidrogue-antiterroristes ». Cependant, ces opérations ne constituent pas en elles-mêmes une voie claire et peu risquée vers un changement de régime ; elles représentent un levier, une présence coercitive et un espace d’essai, et non une clé magique pour la décapitation éventuelle du leadership chaviste.

Techniquement, les États-Unis peuvent tenter des attaques « chirurgicales » limitées à l’intérieur du Venezuela à l’aide de munitions à longue portée telles que des missiles de croisière Tomahawk, des frappes aériennes de précision intensifiées ou des incursions des forces spéciales guidées par des renseignements intégrés mer-espace. Sur le plan opérationnel, cependant, le « chirurgical » nécessite des renseignements humains validés en temps réel et une pression sur les défenses aériennes du pays attaqué. Le Venezuela a compliqué la tâche en dispersant ses leaderships et les systèmes de commandement et de contrôle, en pratiquant la mobilité et en renforçant les nœuds clés de sa sécurité.

Sur le plan politique, toute attaque sur un territoire souverain, en particulier contre les dirigeants, comporte un risque élevé d’escalade et invite à des réponses militaires et diplomatiques réciproques. Les agressions perdent également leur légitimité si la chaîne de preuves des attaques est faible, comme le montrent les enregistrements flous et non datés des bombardements de vedettes rapides. Un coup isolé est possible ; une campagne de décapitation soutenue et contrôlée est improbable sans coûts intolérables et escalades graves.

Le déploiement américain sert quatre objectifs : premièrement, l’interdiction et le spectacle : abordages et attaques de petits bateaux présentés comme faisant partie de groupes « narcoterroristes » ; deuxièmement, la cartographie du renseignement, de la surveillance et de la reconnaissance (ISR) : localisation des radars côtiers, des batteries de missiles sol-air (SAM), des schémas de patrouille, centres de drones, dépôts de carburant et de munitions, et liaisons de communication tout en mesurant le temps de réaction militaire du Venezuela ; troisièmement, des avantages cinétiques limités : attaques contre des cibles maritimes exposées ou des nœuds logistiques temporaires en dehors de l’espace aérien défendu ; quatrièmement, des opérations psychologiques : créer un sentiment de « réseau occupé » dans les Caraïbes qui normalise la présence américaine tout en présentant le Venezuela comme un sanctuaire criminel

« L’objectif stratégique vénézuélien n’est pas de surpasser militairement les États-Unis, mais de rendre chaque étape supplémentaire de la confrontation si coûteuse, visible et illégitime que Washington choisira de ne pas intensifier le conflit » Thomas Keith

L’un des fantasmes de l’opposition vénézuélienne est que ce déploiement puisse reproduire la campagne d’assassinats menée par Israël contre les dirigeants du Hezbollah…

La campagne israélienne s’appuyait sur des renseignements humains développés en profondeur pendant des années au Liban, sur des réseaux infiltrés au sein de l’organisation, sur des conditions logistiques favorables et sur un théâtre d’opérations compact qui permettait à ses avions militaires d’entrer et de sortir du pays sans subir de représailles significatives. Le Venezuela, en revanche, est un État souverain qui dispose d’alliés extérieurs et qui a investi des années pour protéger la mobilité de ses dirigeants. Tenter une opération de décapitation à la manière du Mossad se heurterait à des défenses aériennes, de grandes distances, des considérations politiques complexes et le soutien de pays alliés, autant de facteurs qui pourraient transformer une démonstration de force « limitée » en une crise d’ampleur régionale.

Les tactiques défensives vénézuéliennes augmentent les coûts sur tous les fronts ; le Venezuela dispose de défenses aériennes à longue et moyenne portée, de batteries antimissiles S-300/Antey-2500 et Buk-M2, disposées en couches pour créer une défense aérienne à courte portée, de chasseurs Sukoil -30 et F-16 qui assurent l’interception de la défense, des patrouilles maritimes, comprenant des missiles, des bateaux d’attaque rapide et des milices côtières, postés à l’embouchure des fleuves et aux points d’étranglement depuis La Guaira jusqu’à Paraguaná et le corridor du lac Maracaibo, qui repoussent les navires de surface américains plus loin des côtes vénézuéliennes.

Ceci, ajouté à l’infanterie fluviale et côtière, fait du contre-déploiement vénézuélien un porc-épic bon marché. Washington, pour toutes ces raisons, n’a pas de voie rapide et facile pour mener une campagne d’assassinats contre les dirigeants chavistes.

On parle peu de la réponse militaire du Venezuela, surtout si l’on considère sa défense aérienne, la volonté de résistance de millions de miliciens et son nombre inconnu de drones grâce à son alliance avec l’Iran…

Un exemple des capacités du Venezuela est son complexe de drones qui constitue un multiplicateur de force. Après deux décennies de coopération entre l’Iran et le Venezuela, Caracas est passé de l’absence totale de véhicules aériens sans pilote (UAV) à une flotte stratifiée : l’Arpía-001 (dérivé de l’Iranien Mohajer-2) pour les tâches de renseignement, de surveillance et de reconnaissance ; des drones armés ANSU-100 capables de lancer des munitions de type Qaem (missiles guidés iraniens) pour des attaques de précision ; des prototypes ANSU-200 à « aile volante » difficiles à détecter (note de l’auteur : idéaux pour les attaques surprises, les missions de surveillance, pour pénétrer les défenses ennemies) ; des munitions rôdeuses Zamora V-1 pour les attaques kamikazes ; et des essaims de drones à vue directe (FPV) pour les assauts contre les capteurs et les cibles vulnérables dans les zones côtières encombrées.

Cette combinaison ne sature pas le système Aegis (qui intègre des radars et des missiles) des navires de guerre américains, mais les oblige à adopter des postures anti-drones (UAS) qui consomment des ressources, épuisent les intercepteurs et réduisent le rythme opérationnel du pont. Tout transfert de drones, comme le drone kamikaze iranien HESA Shahed 136 et sa variante russe Geran-2, multiplierait la saturation à faible coût contre les navires de guerre et la pression psychologique (note de l’auteur : ce modèle de drones, également appelés munitions rôdeuses, est utilisé par la Russie pour submerger les défenses aériennes ukrainiennes et lancer de multiples attaques contre des villes ou des infrastructures clés).

Le déploiement de la milice bolivarienne et la fortification sociale transforment en outre les incursions terrestres en un piège politique. L’activation de 5 336 unités communales de milice, liées à 15 751 « bases populaires de défense intégrale » et 8,2 millions de recrues, génère un véritable déni territorial basé sur la résistance populaire. Même sans tenir compte des chiffres officiels des miliciens, la répartition de la défense au niveau local garantit que toute incursion terrestre se heurtera à une résistance politiquement toxique, suivie d’une usure qui dépassera largement les avantages tactiques obtenus. Cette dynamique de mobilisation explique également pourquoi affronter de « modestes pêcheurs » vénézuéliens ou mener des attaques contre des bateaux de petite taille est contre-productif : cela renforce la cohésion sociale et fournit à Caracas un matériel de propagande à fort impact médiatique pour soutenir ses efforts de mobilisation et de dénonciation diplomatique.

La discipline dans la guerre de l’information constitue également un pilier fondamental de la stratégie défensive. Le discours officiel des dirigeants vénézuéliens considère que le véritable champ de bataille est de nature psychologique : c’est pourquoi il expose les absences de preuve dans les accusations d’attaques contre les « narcoterroristes » (telles que l’absence de coordonnées précises dans les bombardements, l’inexistence d’une chaîne de conservation des « preuves », absence de détenus identifiés), documente des incidents dans sa zone économique exclusive tels que l’abordage du thonier La Blanquilla à 48 milles (78 kilomètres) nautiques dans des conditions d’interférence et en présence d’armes longues, et exige une vérification indépendante des faits. L’objectif stratégique est d’éliminer la distance conceptuelle entre l’étiquette « narco-terrorisme » et l’exercice légitime de la défense souveraine, de sorte que chaque manœuvre américaine se traduise par une érosion de sa propre crédibilité internationale.

Dans ce contexte, le Venezuela peut-il recréer une défense efficace qui augmente le coût de toute opération et affaiblisse les États-Unis comme l’ont fait les Houthis au Yémen ?

C’est possible si cela s’adapte à la géographie caribéenne du pays ; les Houthis ont profité des points d’étranglement maritimes. Le Venezuela dispose d’un littoral complexe et fragmenté, d’archipels dispersés et de deltas fluviaux. La méthodologie peut être adaptée grâce à une combinaison de tireurs économiques répartis, de missiles antinavires côtiers, de munitions vagabondes, d’essaims de drones (FPV), de vedettes rapides armées, de systèmes de défense aérienne en couches, de protocoles de contrôle des émissions (signaux radio, GPS, transmissions radio, capteurs) et de leurres. Cela peut contraindre les forces navales supérieures, comme celles des États-Unis, à adopter des cycles de défense coûteux. Cela réduirait leur liberté de manœuvre et allongerait leurs délais de déploiement, des contextes dans lesquels les erreurs opérationnelles et les représailles politiques ont tendance à se multiplier.

Il existe toutefois des limites importantes : les États-Unis disposent d’arsenaux plus importants, d’une logistique supérieure et d’un soutien politique plus important dans cet hémisphère que dans la mer Rouge. L’objectif vénézuélien ne serait pas d’atteindre la parité militaire, mais d’établir une dissuasion par la friction opérationnelle, c’est-à-dire d’augmenter le coût, la durée et la visibilité de chaque étape de l’escalade militaire — des opérations d’interdiction aux « frappes chirurgicales » — au-delà de ce que Washington peut justifier politiquement dans son pays.

Dans ce contexte militaire, une campagne d’assassinats devient assez difficile à mener à bien…

Une opération de décapitation est possible en théorie, mais stratégiquement contre-productive dans la pratique. Les utilisations les plus probables de la flotte américaine sont les opérations antidrogue, la collecte de renseignements, les démonstrations de force par des survols intimidants, les attaques maritimes sélectives et la construction de récits contre le Venezuela, et non l’élimination directe des dirigeants chavistes. Toute escalade vers des attaques « chirurgicales » sur le territoire vénézuélien se heurterait à de multiples obstacles : les systèmes de défense aérienne S-300VM/Buk-M2, un leadership très mobile, un harcèlement constant par des drones, des ceintures de déni d’accès maritime et une population totalement mobilisée. Cet ensemble de facteurs transforme la supériorité tactique américaine en un dilemme stratégique complexe, où les avantages militaires conventionnels sont neutralisés par la résistance asymétrique et le coût politique d’une intervention prolongée.

L’objectif stratégique vénézuélien n’est pas de surpasser militairement les États-Unis, mais de rendre chaque escalade supplémentaire de la confrontation si coûteuse, visible et illégitime que Washington choisira de ne pas intensifier le conflit

Qualifier les pêcheurs de « narcoterroristes », tirer à l’artillerie sur des bateaux et diffuser des enregistrements flous « non classifiés » ne constitue pas une application de la loi ; c’est la phase de normalisation de la projection de la puissance américaine. Les Caraïbes sont considérées comme un réseau occupé où le matériel américain opère sans opposition et où les opérations « antidrogue » servent d’alibi à la coercition souveraine. La réponse rationnelle du Venezuela consiste donc à instrumentaliser le coût (défense aérienne, drones, déni d’accès maritime), à instrumentaliser la société (milices, bases de défense locales) et à instrumentaliser la vérité (documenter les incidents, forcer la vérification). Si cela est mis en œuvre de manière cohérente, la flotte restera sur le « théâtre » des opérations, au lieu de se transformer en une machine de changement de régime à faible risque.

En conclusion, le déploiement américain élargit les options coercitives et réduit les délais pour des actions limitées, mais ne garantit pas une stratégie de décapitation à faible coût. Le Venezuela peut construire — et construit actuellement — une défense qui augmente considérablement le prix à chaque étape de la confrontation : techniquement, grâce aux systèmes S-300VM/Buk-M2, aux drones et aux vedettes rapides équipées de missiles Nasir ; tactiquement, par la dispersion territoriale, le contrôle strict des émissions, l’utilisation de leurres et l’exploitation du désordre côtier ; et politiquement, par la mobilisation massive des milices, la documentation exhaustive des incidents et une diplomatie régionale active.

L’objectif stratégique du Venezuela n’est pas de surpasser militairement les États-Unis, mais de rendre chaque nouvelle étape de la confrontation si coûteuse, visible et illégitime que Washington choisira de ne pas intensifier le conflit.

Bruno Sgarzini

Source: Diario Red – Traduction: Romain Migus