Le jour où le Venezuela a failli racheter l’Olympique de Marseille – Mario ALBANO

1 juillet 2020

Alors que, comme chaque année, les rumeurs de rachat du club de football le plus prestigieux de France vont bon train, il est intéressant de revenir sur une anecdote rocambolesque de l’histoire de l’équipe phocéenne. En 1980, des investisseurs corso-vénézuéliens se proposent de racheter l’OM, qui est alors en difficultés financières. 

L’immigration corse fut importante au Venezuela au XIXème siècle, principalement sur la côte caraïbe. Les familles provenant de l’île de Beauté se sont consacrées à l’agriculture et au commerce de denrées agricoles notamment le cacao et le café. Deux présidents vénézuéliens ont même été d’origine corse: Raul Leoni (de 1964 a 1969) dont la famille paternelle est originaire de Murato (que Leoni a visité en 1970) et Jaime Lusinchi (de 1984 a 1989). Les 2 Rives

 

Des bolivars et des balivernes

Tonton Cristobal ! Les plus de cinquante ans se souviennent sûrement de ce personnage d’une chanson de Pierre Perret : « Des pesos, des lingots il en a le cul cousu, La famille hypocrite crie vive le barbu ». En ce 5 septembre 1980, c’est à lui que l’on pense, quand on apprend qu’un groupe d’investisseurs du Vénézuela se dit prêt à apporter 10 millions de bolivars à l’OM. Christian Carlini est fou de joie !

Christian Carlini, c’est le vibrionnant président de l’OM. Un homme bavard, sympathique, hyper-actif, qui dirige une agence de voyages et qui, en décembre 1979, a pris la présidence de l’OM, lançant ces mots historiques au cours d’une assemblée générale : « Moi, on m’a toujours dit qu’il vaut mieux un pigeon dans la poêle que trois qui volent ! » Moyennant quoi, il a fait un chèque de 100 millions de centimes pour prendre à la hussarde un club à la dérive. À la dérive sportivement, car il va descendre à la fin de la saison et la décision de Carlini de virer Jules Zvunka en janvier pour le remplacer par Jean Robin, n’aidera en rien. À la dérive surtout financièrement.

Ses cent briques ne sont pas pour autant les premières pierres d’un nouvel empire financier. Carlini possède une belle voiture de sport (une Lotus si nos souvenirs sont bons) mais à un confrère qui lui demande de lui faire faire un tour, il répond avec son accent marseillais : « Mais j’ai pas un rond pour mettre l’essence ! »

Printemps et été 1980 sont consacrés au recrutement par Bernard Bosquier avec pour pécule des noyaux de cerise ; il achètera donc des nèfles (Talineau, Oscar Florès, Djebaïli…) et à trouver des solutions financières pour le sympathique président dépassé par les événements au point de finir aux urgences de l’hôpital Michel-Lévy pour des malaises dus au surmenage. Le 22 juillet il présente un plan d’apurement de passif (10 MF) au Tribunal de commerce. Me Nespoulous est nommé administrateur judiciaire. Le 11 août Carlini fait appel et le 20 il demande que lui soit rendue la gérance du club. La FFF et la Ligue (alors nommée Groupement) demandent que le tribunal de commerce soit jugé incompétent envers l’OM. Appel rejeté une semaine plus tard. Le 1er septembre, Carlini, en conférence de presse, prédit la mort du club si on ne l’aide pas et le lendemain il se rend à Paris pour un mystérieux rendez-vous…

Le 4, dans l’après-midi, il appelle Jean Ferrara au Provençal pour lui annoncer la grande nouvelle : « J’ai un chèque de 300 millions dans la poche ! Ce sont des bolivars, mais la somme est authentifiée par une banque réputée » et quelques heures plus tard, il lui donne plus de détails dans un café de l’avenue Roger-Salengro. Des Corses du Vénézuela sont venus à Paris pour apporter de l’argent, avec pour seule contrepartie, l’engagement de l’un de leurs joueurs soi-disant très coté (le nom n’a jamais été révélé). Ils ont même convoqué un journaliste de L’Équipe à leur entretien avec Carlini pour se donner une image de sérieux.

La nouvelle est traitée avec un gros titre à la Une de L’Équipe, beaucoup, beaucoup, de circonspection dans le Provençal et beaucoup d’humour dans « Le Soir » par Alain Pécheral, écrivant notamment : « On pense au canular, traduit par l’équation : 10 millions de bolivars = 1 milliard de balivernes, je pose mon stylo et je ne retiens rien (…) l’argent n’a pas d’odeur ? À qui profite la frime ? (…) Blanc-seing ou noirs desseins ? Canne blanche ou came blanche (comme neige) ? »

Dans son autobiographie, parue en 2006, Christian Carlini évoquera de généreux autant qu’anonymes Corses installés au Vénézuela, contrée pétrolifère, donc synonyme de richesse. Des supporters de l’OM qui avaient fondé « une amicale corse à Caracas. Des marchands d’émeraudes passés par New York, et Caracas, s’occupant d’agriculture, d’élevage de yearlings et de pétrole et qui, là-bas, étaient parfaitement en règle avec les lois de leur pays d’accueil ».

Une liquidation inéluctable

Évidemment, ça fait sourire même si Simón José Antonio de la Santísima Trinidad Bolívar y Palacios a été surnommé Libertador, ce qui pourrait évoquer la Ligue des champions sud-américaine , la Copa Libertadores [c’est effectivement en honneur aux libérateurs que la ligue a été nommé ainsi -Note des 2 Rives]. Mais imaginez un peu son nom floqué sur un maillot ! Non, il aurait dû le raccourcir, le résumer. Ce serait devenu Simon ou Santi ou Boli (mais ça, c’est déjà pris) et ça aurait eu moins de classe.

Il a bien fait de choisir le métier des armes et la politique car, de toute façon, en Amérique du Sud, à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, le foot n’était pas encore un métier d’avenir. Ayant libéré Bolivie, Colombie, Équateur, Panama, Pérou et Venezuela du joug espagnol, cette icône de l’indépendance a donné son nom à un pays, la Bolivie, à des états et à une monnaie, le bolivar, qui n’est pas celle de la Bolivie, mais du Venezuela. Et là, on tombe un peu dans Tintin et on associe volontiers Bolivar à Tapioca et Alcazar, les deux généraux de L’Oreille Cassée.

Le problème, c’est qu’à la mairie de Marseille, on aborde cela avec moins d’humour et au Tribunal de commerce encore moins. Et que, de délai en délai, soeur Anne ne voyant rien venir, en dépit d’un voyage de la dernière chance de Carlini avec son vice-président à Caracas, le 7 avril 1981, le Tribunal de commerce prononce la cessation de paiement et la liquidation de biens du club. Tonton Cristobal n’était finalement jamais revenu…

 

Mario ALBANO

Source:  La Provence