Dix clés pour comprendre la prochaine élection présidentielle en Équateur – Daniel KERSFFELD

1) L’apparition de 19 pré-candidatures présidentielles révèle un profond changement dans le système politique, d’autant plus si on le compare aux 12 pré-candidatures officielles qui existaient aux élections présidentielles de 2017, qui ont finalement accouché de 8 candidat en compétition. Avec une telle dispersion des votes, il est peu probable qu’une seule force puisse gagner au premier tour. Cela augmente également la possibilité d’un ballotage avec un pourcentage pas trop élevé, peut-être, pas plus de 30 %.

2) La nouveauté la plus importante est la présentation d’une liste électorale de gauche et correiste, avec l’ancien ministre Andrés Arauz comme candidat à la présidence, bien qu’il reste à voir si l’ancien président Rafael Correa y participera comme candidat à la vice-présidence. En raison de ces doutes, et en attendant que sa situation juridique soit résolue, le journaliste Carlos Rabascall pourrait le remplacer comme candidat à la vice-présidence. Cette liste a de fortes possibilités de victoire au premier tour, bien que des doutes subsistent quant à ce qui pourrait se passer dans le scrutin sur la formation d’un « front anticorréiste ».

3) A l’exception de Guillermo Lasso, Lucio Gutiérrez et finalement Rafael Correa, les figures traditionnelles de la politique équatorienne des trois dernières décennies ne participeront plus comme candidats aux prochaines élections présidentielles. En ce sens, Jaime Nebot et Álvaro Noboa ont abandonné ; Abdalá Bucaram ne se présente que comme député ; et Paco Moncayo semble avoir pris sa retraite. De même, Lenín Moreno ne se présente pas à la réélection au poste de président, pas plus que son ancien vice-président Otto Sonnenholzner, que beaucoup considéraient comme son dauphin ou, finalement, comme un changement générationnel vers la droite.

4) La droite et le centre-droit, dans leurs multiples expressions (néolibérale, conservatrice, autoritaire, modérée, religieuse, éclairée, populiste, etc.) vont passer par leur propre processus de redéfinition pour décider qui dirigera cet espace, qui pourrait obtenir le plus de voix et, surtout, qui pourrait le mieux articuler le pôle anti-correiste. Ceux qui ont le plus d’avantages dans le conflit pour prendre le controle de la droite sont Guillermo Lasso, avec un haut niveau de connaissances et une quantité importante de ressources [Lasso est un banquier, NdT] et Cristina Reyes, la candidate surprise du Parti Social Chrétien, en raison de la présence territoriale de son organisation politique.

5) Le gouvernement se retrouverait sans héritiers : aucun candidat ou parti ne prétend faire partie de la « lignée ». La crise économique, sociale et sanitaire, avec la corruption institutionnalisée et la très mauvaise image du président (selon certains sondages, il n’aurait que 20% d’approbation) génère une situation pratiquement sans précédent avec plusieurs candidatures par différentes listes. Dans ce sens, et en plus d’Alianza País comme parti au pouvoir, il y a les nominations de Democracia Sí, de Gustavo Larrea, et de Construye, anciennement Ruptura 25 avec une tentative de nettoyage de son image.

6) Pour la première fois depuis l’arrivée au pouvoir de Rafael Correa en 2006, le parti Alianza País, désormais dirigé par Lenín Moreno, va perdre une élection présidentielle. Néanmoins, elle reste une machine électorale et financière présente dans tout le pays, ce qui explique en partie la présentation d’une candidature présidentielle sans aucune chance de transcendance. Alianza País, d’un parti hégémonique jusqu’à il y a cinq ans, va devenir une force anodine.

7) Après les fameuses manifestations indigènes d’octobre 2019, Pachakutik jouera une fois de plus un rôle tout à fait mineur dans les élections présidentielles, en se situant autour de 5 %. La sélection du candidat le plus modéré (Yaku Perez) et la recherche d’une « désindigénisation » de la formule avec une candidate fugace à la vice-présidence totalement improvisée et avec des déclarations malheureuses (même contre le mouvement indigène lui-même) révèle les forts conflits internes de l’organisation et le manque d’intérêt pour son mouvement politique [Larissa Marangoni, désignée comme candidate à la vice-présidence par le parti indigène avait déclaré vouloir privatiser la sécurité sociale et se séparer des Iles Galapagos. Elle a finalement décliné l’invitation à la candidature, provoquant « la tristesse » du candidat « Yaku » Perez Guartambel, NdT]. Il reste à voir si les votes les plus radicaux derrière les leaders de la contestation de 2019 seront dirigés vers le candidat du Correisme, avec lequel la relation n’est pas facile non plus, ce qui augmenterait leurs chances de gagner au second tour.

8) Il existe des organisations qui, avec un poids de plus en plus limité dans la course présidentielle, se présentent surtout pour obtenir au moins une place à l’Assemblée. Ce sont les cas de deux forces puissantes du passé qui survivent actuellement avec une base électorale minimale comme le FE (ex-PRE), de la famille Bucaram, ou la Gauche Démocratique, avec la menace de perdre à nouveau leur statut légal.

9) Le nombre de formules de listes inconnues est frappant, dans certains cas avec des observations juridiques, et qui avec de la chance pourraient obtenir 1%. Les listes purement électorales telles que Libertad es Pueblo, Movimiento Amigo, Unión Ecuatoriana, etc. mobilisent des ressources de toutes sortes, assurent un financement public et éventuellement privé, et font leurs paris pour le second tour, où les deux partis majoritaires doivent négocier un soutien (même s’ils représentent peu de voix, tout s’additionne) en échange d’une présence dans un futur gouvernement ou de tout autre type d’avantage. Justicia Social, de Fabricio Correa, le frère de l’ancien président, ajoute également le conflit familial à la compétition politique.

10) Pour la première fois en Équateur, une liste est formée qui est soutenue par les églises évangéliques avec le pasteur brésilien Gerson Almeida, de Ecuatoriano Unido,. Il s’agit d’un mouvement politique et religieux qui pénètre de plus en plus profondément dans la région et qui a connu ses principaux succès au Mexique, avec López Obrador, et au Brésil, avec Bolsonaro. Ainsi, avec un large sens du pragmatisme, ils sont ouverts à la formation d’alliances à gauche et à droite.

 

Daniel KERSFFELD

Traduction: Romain Migus