De Chicago à Chiclayo. Un pape péruvien du Sud global? – La Línea

9 mai 2025

Sous le soleil harrassant du désert péruvien, au bout d’une longue route bordée de caroubiers, se dresse Chulucanas, une petite ville du nord du Pérou ravagée par la pauvreté et les inégalités. En ce mois d’avril de 1985, un jeune missionnaire américain a posé ses valises au milieu de paysans qui gagnent leur pain quotidien à la sueur de leur front. Disciple de saint Augustin et animé par l’humilité, le jeune Robert Prevost perçoit le contraste avec sa ville natale de Chicago. Il réaffirmera sa vocation en restant dans le pays pendant quatre décennies. Le désert du nord du Pérou ne le quittera plus jamais de sa vie.

Robert Prevost, le nouveau pape Léon XIV, est né aux États-Unis, mais a une longue histoire avec le Pérou, pays dont il est devenu citoyen en 2015. Pendant neuf ans, il a été évêque de la ville de Chiclayo, capitale du département de Lambayeque. Chiclayo est une ville côtière de près d’un million d’habitants qui s’est développée anarchiquement, et confrontée à de graves problèmes tels que le manque de services publics et une criminalité grandissante. Pendant son épiscopat, Mgr Prevost a privilégié la proximité avec les fidèles qui se souviennent de son labeur sociale pendant la pandémie, ainsi que de sa fraternité avec les personnes touchées par les pluies du phénomène El Niño.

En tant qu’évêque, Mgr Prevost a eu des interventions liées à la situation politique péruvienne, défendant les victimes de l’autoritarisme et des abus de pouvoir. En 2017, lorsque Pedro Pablo Kuciznsky a accordé une grâce illégale à l’ancien dictateur Alberto Fujimori, Robert Prevost rappela que « l’ancien président Fujimori a demandé pardon de manière générique. Il serait plus efficace de demander pardon plus expressément pour certaines des grandes injustices qui ont été commises, pour lesquelles il a été jugé et condamné ». En 2023, lorsque l’oligarchie a renversé Pedro Castillo et que des milliers de Péruviens protestataires ont été massacrés par l’actuelle mandataire Dina Boluarte, l’évêque de Chiclayo se refusa á laisser le petit peuple sans secours : « J’ai dit au Saint-Père que ce n’était pas le meilleur moment pour quitter le pays. Je veux continuer à accompagner le peuple, il y a des secteurs qui se sentent oubliés ».

Mgr Prevost a également joué un rôle important dans l’affaire du Sodalitium Christianae Vitae, étant l’un des évêques qui, au sein de la conférence épiscopale, ont pris le parti des victimes. Le Sodalitium est, avec les organisations Légionnaires du Christ et Tradition, Famille et Propriété, l’un des courants ultraconservateurs qui ont émergé au sein de l’Église catholique latino-américaine pour s’opposer à la théologie de la libération et aux aspirations émancipatrices de l’Église dans la région. Cette société, crée au Pérou, rassemblait des jeunes hommes issus de familles aisées, dont beaucoup ont révélé avoir été victimes d’abus sexuels. Après plusieurs années d’enquête, le pape François a dissous en 2025 cette organisation réactionnaire qui était tombé dans la criminalité. Aux antipodes de la vision fascisante du Sodalitium, l’identité spirituelle de Léon XIV s’est nourrie de la culture andine, de la sagesse des peuples indigènes et de la vie quotidienne des humbles paysans avec lesquels il aimait partager son temps.

En 2018, M. Prevost a été élu vice-président de la Conférence épiscopale du Pérou et en 2023, le pape François l’a appelé à Rome pour qu’il devienne préfet du Dicastère pour les évêques et président de la Commission pontificale pour l’Amérique latine. Ces dernières années, il a travaillé en étroite collaboration avec le Saint-Père, soutenant ses positions en faveur de l’environnement, des droits de l’homme et contre la criminalisation des migrations par les autorités étasuniennes. À l’occasion du décès du pape François, Mgr Prévost a appelé à « chérir l’amour des pauvres (…) Je pense qu’en ce sens, le pape a laissé un très grand exemple pour le monde. C’est cet exemple que j’ai poursuivit, à travers mon travail d’évêque au Pérou, et de missionnaire ».

Lorsqu’il a été proclamé pape, Léon XIV a salué en espagnol son « diocèse bien-aimé de Chiclayo », un geste qui témoigne de ses liens profonds avec le Pérou et l’Amérique latine et qui réaffirme que, de fait, il est le deuxième pape latino-américain consécutif. Cela n’a rien d’étonnant puisque l’Amérique latine et l’Afrique sont actuellement les deux moteurs de la foi catholique. En ce sens, Léon XIV peut être considéré comme un pape du Sud Global, plutôt éloigné de la vision des catholiques traditionnels de la vieille Europe. Cependant, ses origines occidentales, combinées à son parcours latino-américain, pourraient jeter des ponts entre ces deux mondes qui, aujourd’hui, ne semblent plus se comprendre.

Il y a quelques mois, est décédé le fondateur de la théologie de la libération, le péruvien Gustavo Gutiérrez. Dans les années 1980, le pape Jean-Paul II avait entrepris une entreprise de marginalisation de ce courant libérateur dans les instances ecclésiastiques. Dans le même temps, la CIA promouvait les sectes évangéliques afin d’enterrer la possibilité d’une Église libératrice sur le continent. La nomination de Robert Prevost à la plus haute autorité de l’Église catholique peut être considérée comme une revanche posthume de Gutiérrez et de tous ceux qui ont soutenu la doctrine sociale de l’Église. Le Pérou, berceau de la Théologie de la libération et du Sodalitium est décidément une terre de contrastes extrêmes. En ces temps d’offensives réactionnaires, de violence sociale et de tambours de guerre, Léon XIV sera confronté à de grands défis qui mettront à l’épreuve le courage qu’il s’est forgé il y a quarante ans, lorsqu’il a posé le pied pour la première fois sur les terres désolées de Chulucanas.

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