Chili: La gauche par temps de colère – Manuel CABIESES

7 juillet 2020

Comment actualiser la gauche à son époque ?

Les temps d’effroi que nous vivons appellent à une nouvelle société. Mais ce ne sera pas une naissance issue du désespoir des masses. La société capitaliste ne se surpassera pas non plus comme le promet l’oligarchie effrayée qui demande des indulgences. Le capitalisme doit être vaincu par les forces du changement. Pour cette bataille, il faut un instrument de cohésion organique et idéologique. Qui peut réaliser cet exploit si ce n’est la gauche anticapitaliste ? La seule force non engagée dans un système qui conduit inexorablement à l’extinction de l’espèce humaine.

L’affrontement inéluctable a un nom : la révolution. En ce moment, la révolution a un prologue culturel car il faudra abattre les murs épais de l’ignorance et des préjugés qui sont la première ligne de défense du capitalisme. Il sera nécessaire de vaincre la coercition idéologique, médiatique et culturelle du capitalisme.

La valeur supérieure de la solidarité — l’objectif suprême du socialisme — devra surmonter la cupidité qui régit les relations sociales actuelles.

Mais une révolution culturelle est à des années-lumière des pratiques routinières et bureaucratiques qui conduisent la gauche actuelle à la consommation.

Il y a vingt ans, Fidel Castro a affirmé dans un discours : “La révolution, a‑t-il dit, est le sens du moment historique ; elle change tout ce qui doit être changé ; elle est la pleine égalité et la liberté ; elle est traitée et traite les autres comme des êtres humains ; elle nous émancipe nous mêmes et nos propres efforts ; elle remet en question les puissantes forces dominantes à l’intérieur et à l’extérieur de la sphère sociale et nationale ; elle défend des valeurs auxquelles nous croyons au prix de tout sacrifice ; elle est  la modestie, l’altruisme, la solidarité et l’héroïsme ; elle lutte avec audace, intelligence et réalisme ; elle ne ment jamais et ne viole pas les principes éthiques ; elle est la conviction profonde qu’il n’y a pas de force dans le monde capable d’écraser la force de la vérité et des idées”.

Pour comprendre le moment historique que vit le Chili, il faut apprécier dans toute son ampleur l’effondrement de la dictature institutionnalisée et la montée de la lutte insurrectionnelle de masse depuis octobre de l’année dernière.

Changer tout ce qui doit être changé, en attendant, c’est affronter sans crainte l’étape déchirante qui consistera à dépasser les habitudes traditionnelles de l’action politique. La gauche devra se débarrasser du lest des pratiques obsolètes et des visions à court terme qui la conduisent à l’opportunisme.

Cependant, la gauche de ce siècle ne sortira pas de nulle part. C’est un instrument de lutte qui reste dans la mémoire historique des peuples. L’action rebelle du socialisme va réveiller les consciences par des méthodes de lutte et des formes d’organisation actualisées.

Les idées révolutionnaires de cette époque ne vont pas non plus naître sur un terrain stérile. Des combattants sociaux qui, dans le passé, ont uni la pratique et la théorie, ont laissé de précieuses leçons. En Amérique latine, par exemple, l’idéologie socialiste du XXIe siècle sera fidèle à la vocation historique d’unité et d’anti-impérialisme de la gauche.

Sur le plan idéologique, il est urgent d’éliminer les tabous et les erreurs comme celles qui identifient le socialisme à l’étatisme. Les slogans dans ce sens ont pour effet de montrer la gauche comme étant destinée à l’échec du “socialisme réel” du siècle dernier. Une telle distorsion coupe les ailes à la créativité propre au socialisme qui favorise le plein développement des capacités humaines et des forces productives.

Le socialisme à l’époque de l’intelligence artificielle et des technologies 5G aura des caractéristiques différentes de celles de l’époque du télégraphe et de la locomotive à vapeur. Mais son moteur sera toujours l’action concertée des masses. Aujourd’hui, sa mission est de libérer “les zombies qui errent dans les rues avec leurs visages collés à leur smartphone”.

La nouvelle société sera construite par des millions d’initiatives. Le pouvoir du peuple atteindra ainsi toute l’étendue de son pouvoir de transformation.

En temps de faim et de pandémie sous la domination du changement climatique qui menace la planète, le socialisme se constitue comme un certain espoir de l’Humanité. Le centenaire de Rosa Luxemburg “socialisme ou barbarie” est exceptionnellement opportun. Supposer que le désespoir causé par la misère et la faim va produire un changement social est une hypothèse qui castre l’initiative des peuples. L’absence d’une gauche socialiste pour organiser la lutte — comme le montre l’expérience historique — ouvre la voie au fascisme et aux faux messies.

Au Chili, nous sommes très en retard dans le travail d’ ”actualisation” de la gauche à notre nouvelle époque. Mais le temps est venu de jeter les bases d’une gauche ayant sa propre personnalité et son “sens du moment historique”.

 

Source: Punto Final – Traduction: ZinTV